DĂ©racinement et solitude
Beaucoup de personnes internées et d’enfants placés se sont sentis déracinés, abandonnés et isolés. Même s’ils n’étaient pas seuls, ils ont constamment souffert de solitude. En effet, ils ne pouvaient pas toujours garder le contact avec leurs parents ou leurs frères et sœurs et ne recevaient que peu de visites. Sans compter que les institutions ont longtemps tout fait pour éviter que leurs pensionnaires se lient d’amitié.
Coupés de leur propre vie
L’internement administratif ou le placement en famille d’accueil arrachait les victimes à leur milieu familial et social pour les reloger dans des lieux éloignés de chez eux, ce qui accentuait leur sentiment d’isolement.
Les pouvoirs publics avaient comme habitude de les éloigner de leur milieu familial et de les séparer de leurs frères et sœurs, afin d’éviter leur « mauvaise influence ». Cette pratique a été d’autant plus efficace que les transports n’étaient pas ce qu’ils sont maintenant : il n’y a encore pas si longtemps, rares étaient les personnes à posséder une voiture et les voyages en train étaient souvent trop chers. Les visites étaient elles aussi rares et il a fallu attendre longtemps pour que les institutions cessent de contrôler chaque lettre...
Sans cesse transférés
De nombreuses victimes ont subi plusieurs mesures de coercition et plusieurs transferts d’une institution à une autre, ce qui renforçait le sentiment de n’être nulle part bienvenu et d’être livré à l’arbitraire.
Les personnes pouvaient être déplacées pour plusieurs raisons. L’une d’elles était un comportement jugé inadéquat, ce qui englobait les tentatives de fugue. De 1927 à 1951, Katharina M* a été placée dans 24 endroits différents : dans des centres pour enfants, des cliniques psychiatriques, des centres d’éducation au travail, des prisons, des familles d’accueil ainsi que comme domestique, et cela non seulement dans toutes les régions de Suisse, mais aussi en Allemagne et en France. Au décès de sa mère, son père l’avait confiée, avec ses frères et sœurs, à une crèche d’Arbon (TG), et les autorités avaient nommé un tuteur : Alfred Siegfried, le directeur de l’« Œuvre des enfants de la grand-route ».
Devenue mère à un jeune âge, Katharina M* essaye de s’en sortir seule avec ses enfants, jusqu’à ce qu’elle soit à nouveau internée. À 30 ans, elle s’installe chez son père. Elle n’est alors apparemment plus victime de mesures de coercition. On ne sait pas si elle a pu revoir les enfants qui lui avaient été enlevés.
« On ne peut pas être plus seul au monde. »
S’ennuyer de sa famille fait mal. Être arraché à son milieu est en effet une expérience douloureuse, surtout pour les enfants et les jeunes.
Enfant, Uschi Waser a été placée dans 20 centres et quatre familles d’accueil. Elle a écrit le poème « Amour maternel » à 15 ans, quand elle était internée à l’institution d’éducation pour jeunes filles Le Bon Pasteur à Altstätten (SG).
Coupés de leur vie
L’internement administratif ou le placement en famille d’accueil arrachait les victimes à leur milieu familial et social pour les reloger dans des lieux éloignés de leur foyer, ce qui accentuait leur sentiment d’isolement.
Les pouvoirs publics avaient comme habitude de les éloigner de leur milieu familial et de les séparer de leurs frères et sœurs, afin d’éviter leur « mauvaise influence ». Cette pratique a été d’autant plus efficace que les transports n’étaient pas ce qu’ils sont maintenant : il n’y a encore pas si longtemps, rares étaient les personnes à posséder une voiture et les voyages en train étaient souvent trop chers. Et il a fallu attendre longtemps pour que les institutions cessent de contrôler chaque lettre.
Isolement et solitude
Les institutions se trouvaient fréquemment en dehors des localités et étaient clôturées si leur fonction l’exigeait. Les directions de certains centres défendaient cette vie en vase clos comme un moyen de protéger les pensionnaires des mauvaises influences. Les frères et sœurs étaient séparés et n’avaient plus de nouvelles les uns des autres. Cette politique de dissémination des familles frappait surtout les Yéniches : de 1926 à 1972, dans le cadre de l’« Œuvre des enfants de la grand-route » de Pro Juventute, plus de 600 enfants yéniches ont été placés dans des institutions et des familles d’accueil, dans le but de les sédentariser. Cette politique de l’isolement pouvait aussi servir à faire accoucher des femmes en secret, comme cela se produisait dans le Foyer mère-enfant Saint-Joseph de Belfond (JU).
Les cantons ne disposant pas tous d’un éventail complet d’institutions, les placements dans un autre canton ou même dans une autre région du pays n’étaient pas rares. Pendant longtemps, les visites n’étaient autorisées qu’au compte-gouttes et les interdictions de visite étaient une punition habituelle en cas de non-respect des règles. Dans de nombreuses institutions, les visites devaient se faire sous la surveillance du personnel.
Les personnes chargées de suivre la situation des enfants, tels que les tuteurs et tutrices, ne venaient que rarement voir leurs pupilles et il était très rare qu’une relation de confiance s’instaure. Leurs visites avaient principalement pour objectif de régler des questions d’ordre financier ou administratif. Étant donné qu’il était aussi rarement possible de nouer des amitiés avec d’autres personnes, les interné·e·s souffraient d’isolement dans des établissements pourtant très peuplés : les arrivées et les départs se succédaient, et lorsqu’une personne partait, c’était rare que l’on sache où elle était transférée. Le ou la pensionnaire qui établissait une relation personnelle et un lien affectif avec une éducatrice ou un employé pouvait s’estimer chanceux.
Écrire pour lutter contre la solitude et le déracinement
Les lettres étaient souvent le seul lien avec le monde extérieur. Pour certains interné·e·s, l’écriture constituait une soupape de sécurité : elle leur permettait de briser pour un instant au moins leur solitude. Les lettres étaient aussi un moyen de demander aux proches d’envoyer des produits inexistants ou rationnés dans l’institution, comme du savon, du tabac ou certaines denrées alimentaires.
Comme les visites, la correspondance était surveillée. Jusque dans les années 1970, la plupart des institutions appliquaient une censure stricte : leur personnel ouvrait les lettres des internes et, selon leur contenu, les retenait ou les transmettait à des services de l’administration. La censure n’était pas seulement une ingérence dans la vie privée des pensionnaires, mais aussi, dans certains cas, une atteinte à leurs libertés individuelles. En effet, il n’était pas rare que la censure empêche les personnes interné·e·s de communiquer avec leurs représentants légaux.
Même une fois la mesure de coercition levée, les victimes continuaient à subir les conséquences de ces années passées dans des institutions, durant lesquelles les pouvoirs publics ont limité ou interdit les contacts avec leurs familles et leurs amis et fait en sorte qu’elles ne puissent pas nouer de relations. Lorsqu’elles retrouvaient leur liberté, elles étaient isolées et ne disposaient d’aucun réseau social. Nombre d’entre elles ne savaient même pas où habitaient leurs parents et encore moins si elles avaient des frères ou des sœurs. Le sentiment de solitude et d’abandon restait très vif, souvent la vie durant.