Les personnes derrière les histoires
Nadine Felix
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« Ne pas détourner le regard, poser les questions qui dérangent, s’engager : c’est tout aussi important aujourd’hui que cela l’aurait été hier. »
Nadine Felix naît en 1975 à Zurich, d’une mère alcoolique. Elle ne doit sa survie qu’à un demi-frère et une demi-sœur plus âgés, qui s’occupent d’elle. Une année après sa naissance, un couple l’adopte. Nadine Felix n’apprendra que bien plus tard ce qui s’est passé à l’époque, puisqu’elle ne fera la connaissance de sa famille biologique qu’à l’âge de 35 ans. Jusqu’à ses 14 ans, elle croit avoir grandi avec ses parents biologiques. Lorsque ses parents adoptifs se séparent, elle est placée sans aucun préavis, au milieu de sa 5e année primaire. Après un certain temps à Coire, elle arrive à Zurich, à l’établissement Hirslanden. Elle y apprend dans une lettre des services de tutelle de Coire qu’elle a été adoptée bébé.
Avec ses camarades de l’institution, elles étaient parfois « de sortie » ; elles se rendaient à des fêtes et dansaient toute la nuit, et Nadine Felix a gardé les chaussures qu’elle mettait à ces occasions. Un jour, alors qu’elle était censée passer une année dans une maison d’éducation fermée et y faire l’école ménagère, elle tente de fuir en Italie avec son ami. Elle est ramenée menottes aux poings dans la division fermée du Loryheim (BE).
Nadine Felix n’a jamais eu son mot à dire dans les prises de décision la concernant. Parmi les nombreux professionnels rencontrés au cours de son parcours, au gré des diverses thérapies qu’elle a suivies, aucun n’a cherché à connaître ses besoins.
À la mort de sa tutrice, Nadine Felix a tout juste 20 ans. Les autorités lèvent alors sa tutelle, sans rien mettre en place pour l’aider à réussir son passage vers une vie indépendante. Elle plonge dans la drogue. Après sept ans de consommation d’héroïne, elle décide de faire une cure de désintoxication. Son fils (qui est aujourd’hui adulte) naît un an plus tard ; elle l’élève seule. Nadine Felix, qui a suivi plusieurs formations, dont une comme responsable pédagogique de crèche, dirigera sa propre crèche pendant dix ans.
Le respect envers chaque personne lui tient à cœur, tout comme le fait de mettre les choses au point lorsque ce respect fait défaut.
Robert Blaser
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« Dans mon cas, trois générations ont été touchées. »
Robert Blaser naît en 1957 à Zollikofen (BE). Ses deux parents devant travailler pour joindre les deux bouts, les enfants Blaser sont souvent livrés à eux-mêmes. En 1962, les autorités placent la mère de la famille devant un choix déchirant : renoncer à exercer une activité rémunérée ou placer ses enfants. Ce sera le placement, et la fratrie est disséminée. Robert Blaser passe les dix années suivantes dans la maison d’éducation de Landorf, à Köniz (BE). À son arrivée dans cette institution, il lui faut rapidement se faire une place dans la hiérarchie qui y règne entre les garçons, une situation dont il tirera profit plus tard.
Robert Blaser a toujours été doué pour la technique, mais au moment de choisir une orientation professionnelle, on ne lui propose rien dans ce domaine. Comme à sa sortie d’institution, à 18 ans, il n’a pas de travail fixe, son tuteur demande une mesure de coercition à des fins d’assistance : il fait alors l’objet d’un internement administratif de deux ans dans la colonie de travail de Kalchrain (TG). Même une fois majeur, Robert Blaser reste soumis à un patronage.
Deux de ses proches ont eux aussi fait l’objet de mesures : son père, qui avait été interné sur décision administrative, et sa première femme, qui n’avait pas grandi avec sa famille. Quand cette dernière tombe enceinte, le jeune couple veut se marier, mais n’est pas autorisé à le faire. Les autorités emmènent son amie, et Robert Blaser reste longtemps sans savoir où elle se trouve. Quand la jeune mère met au monde leur enfant, on le lui prend peu de temps après sa naissance et le couple devra attendre deux ans pour le récupérer.
Par la suite, sa passion pour la technique amène Robert Blaser à travailler dans le domaine de l’isolation thermique et à déposer avec succès un brevet pour un élément Minergie utilisé dans le bâtiment. Aujourd’hui, Robert Blaser défend les victimes de placements forcés. Dans ce cadre, il préside l’association Fremdplatziert (« Placés de force ») et a aidé, avec sa compagne Brigitta Bühler, plus d’une centaine de personnes à présenter une demande auprès du fonds de solidarité.
Gabriela Pereira
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« De nous, les enfants, on a fait des apatrides. Et notre famille a été dispersée. »
Gabriela Pereira naît en 1964 à Wohlen, dans le canton d’Argovie, de mère portugaise et de père suisse. Bien que ses parents pensent se marier, les autorités la placent à l’âge de 18 mois dans un orphelinat géré par des religieuses, les Sœurs de Menzigen. Une famille d’accueil suivra, puis trois institutions catholiques, jusqu’à ses 17 ans. Pendant son séjour dans un établissement évangélique pour adolescents « difficiles », à Freienstein (ZH), elle passe systématiquement ses vacances scolaires comme domestique chez des paysans, comme de nombreux enfants placés. Dans chacun de ces endroits, elle subit des violences et plusieurs abus sexuels.
Quand le père de Gabriela Pereira meurt en 1967, les services sociaux refusent à sa femme l’accès à l’héritage et à l’argent qu’il a mis de côté pour assurer l’avenir de ses enfants. Et comme les autorités ont fait de Gabriela Pereira et de son frère des apatrides et que la famille n’a pas les moyens de se payer le voyage, partir au Portugal n’est pas non plus une option pour eux. Gabriela Pereira devra attendre l’adolescence pour que le passeport suisse lui soit accordé. Ce n’est que grâce à sa mère, qui parvient toujours à ramener sa fille à la maison et à tourner en dérision leur terrible vécu, qu’elle réussit à préserver sa vitalité intérieure.
À la mort de sa mère, en 2003, Gabriela Pereira creuse davantage son passé et s’engage en politique. Elle en est convaincue : il n’y aura pas de travail de mémoire possible tant qu’on laissera les survivant·e·s se débattre seuls avec les conséquences de leurs traumatismes, tant qu’ils auront peu de moyens financiers pour rendre plus supportables les répercussions de leur vécu sur leur santé et tant que l’on continuera à leur imposer des mesures administratives coercitives.
Julia Meier*
Zu diesen Themen spricht Julia Meier*:Julia Meier*
« Des relations d’égal à égal, dans le respect de l’autre : c’est non seulement important, mais possible. »
Julia Meier naît en 2001 d’une mère qui a grandi en Suisse dans une famille d’accueil et d’un père originaire de Cuba. Petite, depuis sa chambre, elle entend régulièrement ses parents se disputer ; elle a cinq ans quand ils se séparent. Julia Meier rend régulièrement visite à son père jusqu’à l’âge de dix ans, puis cesse tout contact, car il la met constamment sous pression et n’est jamais satisfait d’elle.
Les premières années après la séparation de ses parents ne sont pas simples pour Julia Meier. Elle est dyslexique et ses résultats scolaires font des hauts et des bas en fonction de son état psychologique. Il lui faut attendre un certain temps pour que sa mère se remette de la dépression qui l’a amenée à se séparer de son père, puis à en divorcer quelques années plus tard, et pour qu’elle soit à nouveau capable de s’occuper des besoins de sa fille. Durant ces années, le soutien psychologique fourni par des professionnel·le·s jouera un rôle important dans sa vie. Par la suite, mère et fille ont réussi à rétablir une relation et Julia Meier a appris à exprimer ses besoins. Aujourd’hui, elles sont proches et s’entendent bien. Elles peuvent maintenant parler ensemble du parcours douloureux qu’a connu leur famille sur plusieurs générations.
Nom fictif.
Rita Brunner
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« La vie est toujours une question d’équilibre : on ne peut pas recevoir sans donner. » (Yehudi Menuhin)
Rita Brunner naît à Zurich en 1966. Elle n’a jamais vraiment connu son père ; quant à sa mère, qui a déjà une autre fille, elle est dépassée par la situation. Rita Brunner a six semaines lorsqu’elle est placée dans une institution tenue par des religieuses, à Zurich. Elle vit ensuite avec sa sœur aînée dans une institution privée, à Ossingen (ZH), mais celle-ci ferme, car les membres de sa direction sont soupçonnés d’appartenir à une secte.
Les fillettes sont alors emmenées, soi-disant pour une excursion, mais sont en fait transférées au village d’enfants de Rathausen (LU). Rita Brunner a alors trois ans et demi. Dans cette institution, où elle va passer douze ans, elle fait de bonnes et de moins bonnes expériences, en fonction des éducateurs et éducatrices qui s’occuperont d’elle. Elle y subit des punitions collectives, mais aussi de la violence physique et psychologique. Le soir surtout, elle endure souvent la faim, la peur et la solitude.
À 15 ans, une fois sa scolarité obligatoire terminée, Rita Brunner peut sortir d’institution. On lui trouve alors une place de travail comme palefrenière. Elle a beaucoup de mal à se faire à sa nouvelle vie, indépendante, et a souvent des pensées suicidaires. Elle rencontre ensuite pour la première fois de sa vie une personne qui s’intéresse à elle, qui veut savoir qui elle est, ce qu’elle a vécu ; une personne qui l’écoute et en qui elle peut avoir confiance. Au milieu de la vingtaine, Rita Brunner prend de manière tout à fait consciente la décision de vivre.
Rita Brunner rencontre des gens qui la soutiennent et l’encouragent, que ce soit professionnellement ou personnellement. Si elle est maintenant mariée et mère d’un fils adulte, fonder une famille n’a pas du tout été une évidence pour elle. Elle ne voulait tout d’abord pas avoir d’enfants, pour ne pas prendre le risque de leur faire vivre une vie comme la sienne. De son mari, elle dit qu’il est son roc dans la tempête.
Rita Brunner est aujourd’hui conseillère communale. En tant qu’élue, elle tente d’apporter de petites améliorations concrètes. Elle s’engage en particulier pour faire en sorte que l’on respecte l’intégrité des personnes vulnérables et observe en particulier la situation dans les homes pour personnes âgées.
Christina Tomczyk
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« Mon père est mon héros. C’est un modèle pour moi. »
Christina Tomczyk naît à Bâle en 1974. Après la séparation de ses parents, elle vit d’abord avec sa mère, avant de déménager, une fois adolescente, chez son père, Peter Bönzli. Père et fille sont depuis toujours très proches, et il la soutient dans ses objectifs privés et professionnels. En 1993, Christina Tomczyk arrive en finale de Miss Suisse. Une année plus tard, elle participe pour la première fois au championnat suisse de kart.
Christina est mariée à Martin Tomczyk. À la naissance de ses deux enfants, elle commence à poser des questions à son père. Tout ce qu’elle savait de l’enfance de celui-ci, c’était qu’il avait grandi dans une institution avec sa sœur, parce son propre père était mort jeune. Avant cela, Peter Bönzli racontait très peu de choses de cette époque. La famille s’est maintenant mise à en parler toujours plus, notamment parce que le sujet des placements forcés s’est imposé dans le débat public.
Il y a quelques années, Christina Tomczyk a visité avec son père, son oncle et sa tante les institutions bernoises où ces derniers avaient été placés enfants. Elle propose alors à son père de parler publiquement de son parcours. Notamment pour montrer qu’il a réussi, malgré une enfance très difficile, à faire sa vie et à trouver une place au sein de la société. Et qu’il n’a pas transmis à la génération suivante son vécu fait de négligence, de violence, de scolarité bâclée et de manque d’affection.
Beni Freudiger
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« J’ai passé de belles années en institution. »
Beni Freudiger naît en 1958 dans le canton de Soleure. En été 1960, sa mère tombe malade. Son frère aîné et lui sont alors placés à Menzingen (ZG), au Marianum, un établissement pour enfants tenu par des religieuses. Sa mère et son père, qui sont séparés, y viennent de temps en temps leur rendre visite. À son arrivée, Beni Freudiger est le plus jeune des pensionnaires. Il en sera le plus âgé quinze ans plus tard, à la fermeture du Marianum, en 1975.
Beni Freudiger passe de belles années au Marianum. Les Sœurs de Menzingen sont bienveillantes avec lui et il établit une relation privilégiée avec l’une d’entre elles.
La sœur supérieure, qui dirigera le Klösterli, une institution pour enfants à Wettingen (AG) après la fermeture du Marianum, trouve toujours le moyen d’égayer la vie des pensionnaires. Noël par exemple était toujours une fête joyeuse, lors de laquelle les sœurs allumaient des bougies le long d’un chemin qui menait aux cadeaux. La soixantaine d’enfants accueillis y menaient une vie bien réglée, où quelques tâches venaient s’ajouter à l’école. Il leur restait toujours suffisamment de temps pour eux : Beni Freudiger, par exemple, avait son propre petit jardin, où il cultivait des légumes.
À la fin de sa scolarité, la sœur supérieure lui trouve une bonne place pour y faire un apprentissage de commerce. Après un séjour en Angleterre, Beni Freudiger postule dans une fiduciaire ; par la suite, il suit une formation de comptable. Il est aujourd’hui père de trois enfants adultes. Malgré les bons soins des sœurs, il n’a jamais connu la vie de famille, et cette expérience lui manquera lorsqu’il deviendra père.
Depuis qu’il a divorcé, Beni Freudiger voyage beaucoup dans le monde entier. Il est resté en contact avec l’une des Sœurs de Menzigen, qui vit dans la maison mère de l’ordre. Voyant que les médias relayaient surtout des histoires de maltraitance dans les institutions pour enfants, il a souhaité rendre son histoire publique. Il tient à montrer qu’il n’y a pas eu que des vécus difficiles dans ces établissements. Et que déjà à l’époque, il était possible de bien s’occuper des enfants placés.
Claude Richstein
Zu diesen Themen spricht Claude Richstein:Claude Richstein
« Jusqu’à l’âge de douze ans, tout a bien été. C’est après que l’horreur a commencé. »
Claude Richstein naît en 1961. Ses parents ne pouvant pas le garder avec eux, il est placé en institution, puis dans une famille bernoise qui accueille déjà un autre enfant. Il y passe les premières années de sa vie dans un contexte aimant. Ses parents d’accueil souhaitent l’adopter, mais sa mère biologique refuse de donner son accord.
À l’âge de douze ans, son tuteur le place dans une institution en Valais, car ses parents d’accueil ne veulent plus assumer les frais qu’il occasionne. Après une année, il l’accuse (à tort) d’avoir volé des cigarettes et le change à nouveau de lieu. Claude Richstein reste alors quatre ans à Aarwangen (AG), où il doit travailler une bonne partie de ses journées. À 16 ans, il est transféré dans l’établissement Pestalozzi, à Birr (AG), où d’autres jeunes placés lui font subir pendant trois mois des violences extrêmes : une horreur pour lui.
Une fois sa tutelle levée, Claude Richstein vit jusqu’à ses 20 ans en collocation avec le fils aîné de sa famille d’accueil. Ce dernier a toujours joué un rôle important dans sa vie et l’a aidé à y faire son chemin, ce à quoi les années passées en institution ne l’avaient pas préparé. Claude Richstein a collectionné les jobs passionnants et s’est même lancé à l’âge de 60 ans dans une formation en soins à domicile.
Claude Richstein s’estime heureux d’être en bonne santé et d’avoir rencontré de nombreuses personnes qui l’ont aimé. Il essaie de transmettre un peu de ce bonheur aux personnes qui ont besoin d’aide aujourd’hui. Il tire sa force de sa foi, qui l’a aidé à accepter son vécu et à poursuivre sa route.
Brigitta BĂĽhler
Zu diesen Themen spricht Brigitta BĂĽhler:Brigitta BĂĽhler
« Je n’avais jamais entendu parler de ce terrible chapitre de l’histoire suisse. »
Brigitta Bühler naît en 1969 à Zurich. Elle passe une enfance heureuse, dont elle garde de bons souvenirs. Une fois sa scolarité obligatoire terminée, elle fait un apprentissage de vendeuse en commerce de détail dans un magasin de chaussures. Elle a deux enfants d’un premier mariage.
En 2009, elle fait la connaissance de son compagnon actuel, Robert Blaser. Elle n’apprend que petit à petit les placements et mesures administratives qui ont jalonné son parcours. Brigitta Bühler lit alors beaucoup pour s’informer sur ce pan de l’histoire suisse dont elle n’avait jamais entendu parler. Une démarche parfois difficile, tant les récits des victimes la bouleversent.
Connaître l’histoire de son compagnon l’aide à comprendre certaines de ses réactions et de ses particularités. Brigitta Bühler l’accompagne aussi dans son engagement au sein de l’association Fremdplatziert (« Placés de force »), par exemple en aidant les victimes à présenter des demandes au fonds de solidarité. Il arrive régulièrement que des victimes, qui craignent que leurs proches apprennent leur passé en institution, leur demandent de ne pas leur rendre visite à domicile ni leur téléphoner sur leur ligne fixe. Brigitta Bühler trouve bien triste que des personnes ne puissent pas parler de leur histoire à leur entourage. Elle conseille par conséquent à tous les proches d’être attentifs, de poser des questions et d’être à l’écoute.
Sergio Devecchi
Zu diesen Themen spricht Sergio Devecchi:Sergio Devecchi
« Je me suis longtemps tu, par honte. Avant de décider de m’engager pour qu’un travail de mémoire soit fait. »
Dix jours après sa naissance, en 1947, Sergio Devecchi est placé dans une institution pour enfants tenue par des évangéliques à Pura, au Tessin. Il y passe une enfance faite de prière, de travail et d’obéissance. Après 12 ans dans cette institution, on le transfère du jour au lendemain dans un autre établissement. Il fuit alors à plusieurs reprises et tente de retourner à pied à Pura. Son tuteur le place finalement dans l’institution Gott hilft, à Zizers, aux Grisons. Peu après sa confirmation, il est ramené au Tessin – de nouveau sans même en avoir été informé à l’avance – chez un oncle qu’il ne connaît pas.
Sa scolarité terminée, Sergio Devecchi commence un apprentissage de commerce. À dix-sept ans, il vit dans une chambre, à Lugano, sans aucun soutien de la part des autorités. Il connaît la solitude et la faim. Des particuliers ainsi qu’une association d’hommes chrétiens (YMCA) lui apportent alors une aide décisive. En 1969, il commence des études d’éducateur spécialisé à Bâle. Il travaille ensuite comme éducateur et directeur de foyer dans diverses institutions du Tessin et de Suisse alémanique ; plus tard, il présidera plusieurs organisations, et notamment Integras, l’Association professionnelle suisse pour l’éducation.
Tanja Meier*
Zu diesen Themen spricht Tanja Meier*:Tanja Meier*
« Ma mère et ma grand-mère n’avaient pas non plus grandi avec leurs parents. »
Tanja Meier naît en 1965 dans l’Oberland zurichois. À sa naissance, sa mère est déjà mère d’un petit garçon d’une année, qu’elle a eu à 18 ans, alors qu’elle n’était pas mariée. Le père des deux enfants vient de Sardaigne. À onze mois, Tanja Meier est placée dans une famille d’accueil membre d’une Église libre piétiste, où elle restera jusqu’à ses 25 ans. Quant à son frère, il sera ballotté d’un endroit à l’autre.
Tanja Meier estime avoir eu de la chance par rapport à son frère. Elle devient toutefois le souffre-douleur de sa mère d’accueil. Comme cette dernière dénigre systématiquement sa mère et sa grand-mère, Tanja Meier cherchera à tout prix à ne pas leur ressembler. Son frère et elle ne sont pas les premiers de la famille à ne pas grandir avec leurs parents : leur mère (et ses frères et sœurs) ainsi que leur grand-mère avaient déjà été placées à la mort d’un de leurs parents. Parce que Tanja Meier refuse d’aller voir son père les dimanches de visite, car ce dernier a commencé à être intrusif, son tuteur la menace de la placer dans une institution.
Quand Tanja Meier fait une dépression nerveuse, à 16 ans, ses parents d’accueil refusent l’aide du service de psychologie scolaire. Ce n’est qu’en 2017 qu’elle apprendra pourquoi elle a continué à avoir tant de problèmes de santé durant les décennies qui ont suivi : elle souffre de troubles de stress posttraumatique.
Tanja Meier sera à nouveau victime de violence psychologique à l’âge adulte, au sein de son couple cette fois. Le père de sa fille tente notamment de lui enlever son enfant. Elle fait une deuxième dépression nerveuse en 2004, avant de trouver trois ans plus tard la force de se séparer de son conjoint et de recommencer une nouvelle vie avec sa fille.
Karin Gurtner
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« J’ai évité autant que possible de recourir à la violence pour résoudre les conflits. »
Karin Gurtner naît à Bâle en 1959. Sa mère, qui est très jeune, est célibataire. Les autorités de tutelle décident de la placer chez ses grands-parents jusqu’en 1965. Ces derniers aiment leur petite-fille et lui donnent de bonnes bases pour la vie. La fillette passe de nombreuses heures en forêt avec son grand-père, où elle apprend à observer la nature et à respecter toute forme de vie.
En 1963, sa mère se marie et l’arrache du jour au lendemain à ses grands-parents. Karin Gurtner aurait tout donné pour pouvoir rester avec eux, car sa mère s’était toujours montrée froide et distante avec elle lors de ses visites. À l’âge de onze ans, elle est placée dans un établissement pour adolescentes « difficiles » à Steig (SH). En 1975, cinq placements se suivent en l’espace de quelques mois, parmi lesquels un séjour en prison et finalement un à la clinique psychiatrique de Breitenau (SH), car les autorités ne savent plus que faire d’elle.
Un internement administratif à la maison d’éducation Lärchenheim à Lutzenberg (AR) est ordonné à la fin 1975. Dans cette institution, les relations entre les jeunes filles sont fortement hiérarchisées, et Karin Gurtner parvient à se hisser en bonne place parmi ses pairs. Elle n’en tire toutefois aucun profit personnel, mais réussit à aider d’autres jeunes filles.
Karin Gurtner ne se laisse pas enfermer dans la répartition traditionnelle des rôles entre hommes et femmes ; elle tient à tracer sa propre voie et suit une formation élémentaire en design électronique. Plus tard, après s’être formée comme esthéticienne et visagiste, elle ouvre son propre salon. Sa mère, qui continue de lui en vouloir, fait en sorte de décourager sa clientèle potentielle. Ce conflit familial se poursuit lors d’un héritage : sa mère l’accuse d’avoir dilapidé la fortune de sa grand-mère alors qu’elle n’y a jamais eu accès.
Karin Gurtner est une battante. Elle tire sa force de l’Arbre du Monde Yggdrasil et d’un dicton des divinités nordiques : « Se lever et continuer la lutte ! »
Kurt Bönzli
Zu diesen Themen spricht Kurt Bönzli:Kurt Bönzli
« C’est important pour moi d’avoir renoué avec mon frère. »
Kurt Bönzli naît en 1949 à Berne. À la mort de son mari, sa mère perd la garde de ses quatre enfants, et tous sont placés. Kurt Bönzli est alors envoyé en cure au Beatenberg (BE) avec l’une de ses sœurs, puis transféré pour quelque temps dans une institution pour filles où sont hébergées ses sœurs. De 1957 à 1966, il vit au Brünnen, une maison de correction pour garçons à Berne-Bümpliz, avec son frère aîné, Peter Bönzli.
Le travail occupe une importante place dans cette institution, au détriment de la scolarité. Les garçons y sont dressés pour obéir au doigt et à l’œil, sont battus et n’ont aucune liberté. Kurt Bönzli fuit parfois de brefs instants dans son monde, en se construisant une cachette sous un banc, avec une couverture. Ses sœurs vivent alors tout près, dans une institution pour filles, et il peut parfois leur faire signe par-dessus la clôture.
Au Brünnen, il est habituel, une fois que les jeunes ont terminé leur scolarité obligatoire, de leur attribuer un poste de travail sans leur demander leur avis, mais Kurt Bönzli tient à choisir lui-même sa formation. Il finit par pouvoir faire un apprentissage de cuisinier en ville de Berne.
Quand sa tutelle est levée, à 20 ans, Kurt Bönzli profite de sa liberté retrouvée pour voyager. Les cuisiniers étant très recherchés, il peut sans problème passer d’un endroit à l’autre. Comme il ne veut pas être responsable d’autres personnes, il ne cherche pas à fonder une famille.
Durant toutes ces années, il a très peu de contacts avec ses frères et sœurs, jusqu’à ce qu’un infarctus le décide à changer de vie. Il réduit alors sa consommation d’alcool et renoue avec son frère aîné, Peter Bönzli. Tous deux se voient régulièrement maintenant, et cette relation est importante pour lui.
Peter Bönzli
Zu diesen Themen spricht Peter Bönzli:Peter Bönzli
« J’ai toujours trouvé sur ma route des personnes qui m’ont aidé et encouragé. »
Peter Bönzli naît à Berne en 1947. Sa mère perd la garde de ses quatre enfants à la mort de son père. Un jour, alors qu’il joue dans la rue, deux hommes le prennent et l’amènent dans un établissement pour placements provisoires. À cinq ans, il se retrouve au Brünnen, une maison d’éducation pour jeunes, à Bümpliz (BE).
Durant sa première année à Bümpliz, qu’il passe avec les fils du directeur, il a une grande liberté. Tout change dès le début de sa scolarité : il doit tellement travailler qu’il lui reste peu de temps pour l’école. Son frère Kurt, plus jeune que lui, est placé dans la même maison d’éducation. Ensemble, ils attendent une fois par mois la visite de leur mère – souvent en vain. Les deux frères aperçoivent parfois, par-dessus la clôture, leurs sœurs placées juste à côté, dans une institution pour filles.
À la fin de leur scolarité obligatoire, les garçons du Brünnen étaient envoyés dans différents postes de travail. Pour Peter Bönzli, ce sera une année chez un buraliste postal du Jura bernois. Il va ensuite vivre chez sa mère, à Bâle, et commence un apprentissage de laborantin, mais doit l’interrompre en 1964 en raison d’un accident de travail. Il s’inscrit à une formation d’employé de commerce, qu’il a de la peine à suivre en raison de sa scolarité bâclée dans la maison d’éducation. Son parcours professionnel l’amène ensuite, après différents postes de vendeur, à se tourner vers le conseil en entreprise. En 1992, il crée sa propre société, qu’il vend en 2004 pour prendre une retraite anticipée.
Bruno Frick
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« Des relations stables sont essentielles pour l’épanouissement des enfants et des jeunes. »
Bruno Frick naît en 1957. Il est l’aîné d’une fratrie de trois garçons qui grandit sur la Riviera zurichoise avec leurs parents. C’est dans son activité de chef scout qu’il fait pour la première fois la rencontre d’enfants de l’orphelinat de Wädenswil. Lorsque cette institution ferme et qu’il faut reloger ses pensionnaires, une adolescente de 14 ans dit ne plus vouloir vivre en institution. Elle demande à Bruno Frick si elle peut emménager chez lui, avec ses colocataires. Les autorités donnent leur accord et le nomment père d’accueil, puis tuteur.
En 1978, Bruno Frick commence une formation d’éducateur spécialisé. Dans le cadre de son travail de diplôme, il interroge de nombreux anciens pensionnaires de l’orphelinat de Wädenswil (ZH). Ce travail et ses études lui font voir la société d’un œil plus critique. Il parvient notamment à la conclusion que des relations stables sont essentielles pour l’épanouissement des enfants et des jeunes. Ce constat le guidera toute sa vie : en tant que responsable pédagogique du foyer Jugendsiedlung Utenberg (LU), en tant que père d’accueil et, plus tard, en tant que père de ses propres enfants également. Depuis les années 1990, Bruno Frick accompagne des personnes en cours d’intégration sociale, et notamment des jeunes adultes à leur sortie du foyer dans lequel il travaillait. À la même époque, sa femme et lui deviennent famille d’accueil sociopédagogique ; six enfants vivront entre quatre et 18 ans avec eux.
Bruno Frick, qui est membre du conseil de fondation de la fondation Guido Fluri, s’engage depuis 2014 en faveur des victimes de placements forcés et de mesures de coercition à des fins d’assistance et milite pour que la société mène un vaste débat sur cette question.
Mario Delfino
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« Je vais bien – si seulement il n’y avait pas eu ces histoires ! »
Mario Delfino naît en 1955 en Italie. Il passe ses premières années dans un orphelinat de Bergame, entouré notamment de l’affection de l’une des infirmières. À cinq ans, il est adopté par un couple suisse. Ses parents adoptifs, qui l’emmènent vivre à Thalwil (ZH), le maltraitent. Ils l’enferment et le frappent souvent. Sa mère adoptive finit par l’amener dans une institution pour enfants tenue par des religieuses, à Altdorf (Uri). Commence alors pour lui une période qu’il décrit comme fortement marquée par la religion, mais sans violence. Après quatre ans, les Sœurs de Menzingen le renvoient chez ses parents adoptifs.
À l’âge de 12 ans, Mario Delfino vole une caisse avec deux camarades d’école. Ils y trouvent 40 000 francs, qu’ils renvoient par la poste à leur propriétaire. Quelques jours plus tard pourtant, Mario Delfino est arrêté dans la cour de l’école et emmené menottes aux poignets. Il passe les quatre années suivantes dans une maison de correction à Bad Knutwil (LU). Les religieux allemands qui tiennent cette institution font subir de gravissimes actes de violence physique et sexuelle aux jeunes dont ils s’occupent, et il n’y échappe pas.
En 1972, les autorités mettent fin à son placement dans la maison de correction de Bad Knutwil. Il n’a que 16 ans, mais sa mère adoptive ne veut plus de lui chez elle et appelle la police à son arrivée. On le fait croupir trois semaines dans une cellule de la prison de Horgen (ZH) avant que le juge des mineurs prenne le temps de se pencher sur son dossier. Ce juge, qui l’avait placé à Bad Knutwil, envisage d’ordonner un nouvel internement administratif, mais une assistante sociale intervient. Pour la première fois de sa vie, Mario Delfino voit une personne prendre du temps pour lui et écouter son histoire. L’assistante sociale le prend chez elle et lui trouve une place de travail.
Par la suite, Mario Delfino déménage à Zurich, où il trouve un point d’ancrage grâce à Ernst Sieber, le pasteur des sans-abris de Zurich. Avec sa femme, Katharina Delfino, il travaille 18 ans comme concierge dans un centre scolaire zurichois. Il est père de deux fils adultes. Mario Delfino est membre de l’équipe du projet « Les visages de la mémoire ».
Andreas Jost
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« J’ai soif de justice, c’est ce qui me motive. Et que nous ne l’obtenions pas me met en colère. »
Andreas Jost naît à Bâle en 1961. Au divorce de ses parents, il subit la violence et les humiliations de sa mère, qui a obtenu le droit de garde. Mises au courant de la situation, les autorités de tutelle le placent dans un établissement, puis dans deux familles d’accueil et enfin dans de nombreuses autres institutions. Il finit même par être mis dans une prison pour mineurs alors qu’il n’a rien à se reprocher. À cette époque, Andreas Jost n’a personne qui le traite d’égal à égal, qui le soutienne, qui lui apprenne l’empathie. Avec le temps, il commence à se rebeller et ne craint plus les conflits ouverts avec son tuteur, puis avec sa tutrice.
À 15 ans, Andreas Jost est livré à lui-même. Il part pour Berne, où il est sans abri durant un certain temps et vit de petits boulots. N’ayant alors pas conscience de l’importance d’une formation professionnelle, il n’en suit aucune. Sa scolarité bâclée (en raison de ses perpétuels changements de centres scolaires) ne lui permettra pas de trouver une voie professionnelle où mettre à profit ses compétences innées. Il souffre par ailleurs de plus en plus de problèmes psychiques : il est rattrapé par les mauvais traitements subis durant son enfance et les traumatismes qui en découlent. Au milieu de la vingtaine, il n’est plus en état de travailler et demande une rente AI. Le fait de devoir vivre en permanence avec le minimum vital le limite beaucoup, notamment dans ses contacts sociaux. Aujourd’hui encore, il souffre de cauchemars récurrents et ressent dans son corps les séquelles des mauvais traitements subis lors de ses placements.
Andreas Jost a été membre de la Table ronde mise en place dans le but de faire la lumière sur les mesures de coercition à des fins d’assistance et les placements extrafamiliaux antérieurs à 1981. Il ne craint pas de dire la vérité, même quand elle dérange. Il s’engage en particulier pour améliorer la situation des victimes de placement, amélioration qui peut passer par une rente à vie, par exemple.
Heidi Lienberger
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« Aujourd’hui encore, nous ressentons au quotidien les conséquences de son enfance. »
Heidi Lienberger naît en 1958 à Liestal (BL). Benjamine de cinq enfants, elle passe une enfance insouciante. Elle n’est confrontée au monde que lorsqu’elle quitte le foyer familial, à 18 ans. Elle trouve alors sa voie dans la vie grâce à son premier mari. Après avoir exercé plusieurs métiers, elle est maintenant serveuse. Elle était autrefois très créative et vendait parfois ses œuvres sur un marché. Son compagnon actuel, Andreas Jost, qu’elle a connu il y a 21 ans, est très direct. Cette franchise ne plaît pas à tout le monde, mais c’est justement ce qu’elle aime chez lui, en tous cas la plupart du temps. Elle-même est plutôt introvertie.
Andreas Jost lui a parlé des mauvais traitements et des injustices qu’il a subis durant son enfance et sa jeunesse. Il lui a tout mis par écrit et ils en ont beaucoup parlé ensemble. Heidi Lienberger n’arrive pas à comprendre que des adultes puissent agir de la sorte avec des jeunes placés sous leur responsabilité.
Elle et son compagnon en ressentent aujourd’hui encore les conséquences au quotidien. Une bronchite pas traitée, contractée pendant son enfance, vaut à Andreas Jost des accès de toux très pénibles ; de plus, des cauchemars et des troubles du sommeil perturbent ses nuits. Dernièrement, il a commencé à faire des crises d’épilepsie, ce qui préoccupe de plus en plus Heidi Lienberger. Sans compter qu’il leur est difficile, en raison de leur budget limité, de mener leur vie comme ils l’entendent et d’entretenir des contacts sociaux. Leur relation a failli se terminer tout récemment, tant ces difficultés pèsent lourd.
Heidi Lienberger soutient son partenaire dans son engagement en faveur du travail de mémoire sur les placements forcés et les mesures de coercition à des fins d’assistance. Elle admire la ténacité et l’énergie dont il fait preuve dans cette action.
MarieLies Birchler
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« Parfois, les mots me manquent... »
MarieLies Birchler naît à Zurich en 1950. Elle est l’aînée de cinq frères et sœurs. En 1951, les autorités la placent dans un orphelinat de sa commune d’origine, Einsiedeln (SZ), avec son frère Hanspeter, parce qu’ils sont les deux sous-alimentés, malades et négligés. Commencent alors pour MarieLies Birchler onze années de martyre fait de violence et de peur dans cette institution tenue par des religieuses, les Sœurs d’Ingenbohl.
MarieLies est une enfant vive, qui souffre d’énurésie. Ces deux caractéristiques vont lui rendre la vie particulièrement difficile. Pour la punir de mouiller son lit, les sœurs la plongent dans l’eau froide, la battent sauvagement, l’enferment des jours entiers au grenier. Elles l’humilient devant les autres enfants, la ridiculisent, l’insultent et l’accusent d’être possédée par le diable. Une fois plus âgée, MarieLies Birchler commence à se défendre, jusqu’à ce que son tuteur la sorte de là , l’année de ses treize ans. Sa vie s’améliore quand elle est transférée à Rebstein (SG), au Burg. Mais pour établir une relation de confiance avec un adulte, elle devra attendre 1968 et son placement dans l’établissement pour adolescents difficiles de Waldburg, à Saint-Gall, où une éducatrice bien intentionnée s’occupe d’elle.
À 20 ans, la tutelle de MarieLies Birchler est levée. Elle suit alors une formation d’infirmière en psychiatrie et assume par la suite des fonctions de cadre dans ce domaine. En 1978, son frère Hanspeter se suicide. C’est un coup très dur pour elle. À cette époque, elle parle très peu de son enfance, jusqu’à ce que ses nombreux traumatismes la rattrapent et la fassent tomber malade. Elle fait plusieurs dépressions nerveuses, ne peut plus travailler et doit demander une rente AI.
Une fois remise, MarieLies Birchler aide des familles avec enfants, une activité qu’elle exerce encore actuellement. Depuis quelques années, MarieLies Birchler s’engage aussi dans le travail de mémoire mené sur les mesures de coercition à des fins d’assistance. Elle le fait pour tous ceux et celles qui ne peuvent pas en parler ou ne sont plus là pour le faire. Elle fait partie de l’équipe du projet « Les visages de la mémoire ».
Annemarie Iten-Kälin
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« Il est temps de faire la lumière aussi sur l’orphelinat d’Einsiedeln. »
Annemarie Iten-Kälin naît à Willerzell (SZ) en 1956. Huitième enfant de la famille, elle perd coup sur coup ses deux parents, entre sept et huit ans. Sa mère meurt d’une grave maladie et son père se suicide six mois plus tard. La fratrie est alors séparée : les aînés sont engagés comme employés ou placés dans des familles comme main-d’œuvre bon marché. Quant aux quatre plus jeunes, ils sont amenés à l’orphelinat d’Einsiedeln, une institution tenue d’une main de fer par des religieuses, les Sœurs d’Ingenbohl.
À la fin des années 1960, un directeur est nommé pour gérer l’orphelinat, mais l’espoir de voir leur lieu de vie s’égayer un peu avec le changement de direction s’évanouit rapidement. Les enfants ont certes davantage de liberté et des jouets à leur disposition, mais le directeur les punit lui aussi de manière arbitraire et violente. Et il les agresse sexuellement, ce pour quoi il ne sera jamais poursuivi en justice. Lorsque les autorités, informées indirectement des faits par une lettre d’Annemarie Iten-Kälin, s’apprêtent à mettre en place un contrôle, le couple qui dirige l’orphelinat démissionne, en les accusant, elle et sa sœur, d’être responsables de leur départ.
Plus tard, Annemarie Iten-Kälin fait un stage à l’institution pour enfants Klösterli à Wettingen (AG), dans le cadre de la formation qu’elle entreprend pour devenir éducatrice de la petite enfance. Elle y découvre qu’il est tout à fait possible de s’occuper de manière bienveillante des enfants : il y avait donc moyen de faire autrement, même à l’époque. Pendant sa formation, à Menzingen, elle fait la connaissance de celui qui deviendra son mari. Elle retourne par la suite à Einsiedeln et fonde une famille avec lui. Quand sa fille tombe malade, elle l’accompagne jusqu’à son dernier souffle avec son mari et son fils Michael. Elle a consigné dans un livre la vie et la mort de sa fille (Stefanie, ein Engel auf Erden, Stefanie, un ange sur Terre).
Son deuxième livre est maintenant sur le point de paraître. C’est sa propre histoire, qui retrace un destin vécu par tant d’autres enfants placés. Annemarie Iten-Kälin lutte toujours avec ténacité pour que justice soit faite. Elle a notamment exigé qu’un travail de mémoire soit mené sur l’histoire de l’orphelinat d’Einsiedeln, et les autorités politiques ont approuvé cette demande en été 2022.
Michael
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« Une institution, ce n’est pas un vrai foyer – et les éducateurs et les éducatrices ne sont pas des parents. »
Michael naît en 1964 à Zurich. Troisième enfant de parents très jeunes et polytoxicomanes, il ignore aujourd’hui encore combien il a de frères et sœurs. Il commence par vivre chez ses grands-parents. Lorsque son grand-père meurt, sa grand-mère aimerait le garder, mais le service des tutelles de la Ville de Zurich en décide autrement. Michael est placé d’abord dans diverses familles d’accueil, puis transféré à l’âge de neuf ans au Heizenholz à Zürich-Höngg. Certains des éducateurs et éducatrices sont bienveillants, d’autres violents. Ce qui lui manque, c’est une personne de confiance, à laquelle il aurait pu s’adresser en cas de question ou de problème. Même après sa sortie d’institution, il aurait aimé avoir une personne de référence, quelqu’un à qui poser ses questions sur des sujets comme les finances, les impôts, etc.
Après sa scolarité obligatoire, il commence rapidement un apprentissage, parce que les autorités menacent de l’interner à nouveau, en Suisse romande cette fois, s’il ne le fait pas. Pendant ces années de formation, il vit dans un studio et se débrouille pour subvenir à ses besoins. Quand sa tutelle est levée, à sa majorité, il suit alors sa route, se fait des amis, fonde une famille et s’épanouit dans son travail. Il parle ouvertement de son enfance, même à sa fille : il tient à ne pas lui transmettre son douloureux vécu, afin de briser le cercle de la violence. Michael trouve très important, tant pour les victimes que pour la société, de faire un travail de mémoire et de reconnaître l’injustice subie.
Sabine Weber*
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« Mon livre aurait eu pour titre : aimer sans être aimée. »
Sabine Weber naît en 1954 à Graz, en Autriche. Elle a dix ans quand sa famille déménage en Suisse. Au divorce de ses parents, son frère et elle restent vivre avec leur mère.
Sabine Weber a quinze ans lorsque son père, après leur avoir rendu visite, la dénonce à l’office des mineurs, l’accusant de « fricoter » avec des hommes. Cette calomnie aura de graves conséquences, puisqu’elle fait alors l’objet d’un internement administratif à Hirslanden (ZH). Elle s’enfuit à la première occasion pour rejoindre ses grands-parents en Autriche.
Peu de temps après sa fuite, elle fait la connaissance à Graz d’un jeune homme qui, lui aussi, peine à surmonter un passé de placements en institutions. La jeune femme tombe enceinte. À son entrée à l’hôpital, elle signe tous les papiers qu’on lui amène. Juste avant qu’elle accouche, un médecin la prévient : ces documents prévoient que les bébés des femmes non mariées soient donnés en adoption. Il l’aidera à garder son enfant.
Plus tard, Sabine Weber revient en Suisse. Elle se marie, mais son union ne tient pas. Sabine Weber est aujourd’hui retraitée. Bien qu’elle souffre d’une maladie des yeux évolutive, elle reste active, profite de la vie avec son compagnon actuel et essaie d’être le plus indépendante possible.
Nom fictif.
Eva Kappeler
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« Il ne connaissait ni la fondue ni la raclette : il n’en avait jamais mangé en institution ! »
Eva Kappeler naît en 1954 à Davos. Elle grandit dans une famille aimante, avec ses sept frères et sœurs. Son premier mari meurt jeune (en 1987) et elle élève seule leurs trois enfants. Durant une année, elle s’occupe seule de la ferme familiale. Lorsqu’elle contracte une septicémie, les autorités de tutelle veulent placer ses enfants. Son généraliste fait alors en sorte qu’elle puisse prendre quatre semaines de repos pour se rétablir, et la famille ne sera finalement pas dispersée.
Eva Kappeler fait la connaissance de son deuxième mari, Alois Kappeler, par une petite annonce qu’il a fait publier dans une revue en 1994. Elle sait au premier regard qu’ils sont faits l’un pour l’autre. Une fois marié, le couple s’installe à Wiesen, dans l’actuelle commune de Davos. Alois Kappeler, qui cherche du travail, s’adresse alors à la commune. On le renvoie sans répondre à sa demande, mais un représentant des autorités se présente le lendemain à leur porte et leur annonce qu’ils ont été placés sous curatelle. Il leur faudra six ans et l’aide d’un avocat pour faire lever cette mesure. Et entretemps, Eva Kappeler aura perdu son assurance-vie et toute sa fortune.
Eva Kappeler a beau connaître l’histoire de son mari, lorsqu’elle commence à prendre connaissance des diverses pièces de son dossier, il lui faut sans cesse interrompre sa lecture, car les larmes lui brouillent la vue. Aujourd’hui encore, elle soutient son mari au quotidien et l’aide à travailler sur son vécu. Elle sait le tranquilliser lorsque la rage le prend en pensant à son passé, elle est à son écoute. Pour eux, les bons petits plats sont d’autant plus importants qu’Alois Kappeler ne connaissait pas ce plaisir avant leur rencontre. Ils se retrouvent aussi dans leur amour de la musique et font dès que possible quelques pas de danse, parfois avec leurs petits-enfants.
Alois Kappeler
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« Ce n’était pas une belle vie. »
Alois Kappeler naît en 1953 à Galgenen, dans le canton de Schwyz. Treizième enfant d’une fratrie de quatorze, de parents yéniches qui vivent en caravane, il a deux jours lorsque les autorités le prennent. Il est amené à l’institution pour enfants de l’Œuvre séraphique de charité de Soleure, puis sera ballotté d’un endroit à l’autre durant les 18 années qui vont suivre. Il vivra dans plus d’une vingtaine d’institutions et de familles d’accueil, où il sera régulièrement victime de violence tant physique que sexuelle.
Une fois majeur, Alois Kappeler veut faire lever sa tutelle, mais son tuteur s’y oppose. À vingt ans, il quitte sans prévenir son poste de travail et se cache durant huit ans dans un alpage des Grisons. Son tuteur ne retrouve sa trace que lorsqu’il doit descendre de son alpage pour faire soigner de graves blessures à la tête, à la suite d’un accident.
Alois Kappeler est alors interné à la clinique psychiatrique de St-Urban (LU) puis, quatre ans plus tard, transféré à celle de Beverin (GR). On tente de le castrer de force, car on considère qu’il présente une libido démesurée. En s’opposant à cette mesure, il blesse un gardien, ce qui lui vaut d’être détenu dans l’établissement pénitentiaire de Realta (GR). Le journaliste au Beobachter Hans Caprez le fait libérer et rend publique son histoire.
En 1994, Alois Kappeler fait la connaissance de sa future femme grâce à une petite annonce publiée dans une revue. Elle devient son principal soutien, et il emménage chez elle, à Davos. Le couple s’installe par la suite à Wiesen, une localité de la commune de Davos. Alois Kappeler s’adresse alors aux services communaux, car il cherche du travail. Le lendemain, un représentant des autorités sonne à leur porte pour leur annoncer qu’ils ont été mis sous curatelle. Ce n’est que six ans plus tard, en 2004, qu’Alois Kappeler et sa femme parviennent à faire lever cette mesure, grâce à l’aide d’un avocat.
Yvonne Barth
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« Je m’en suis sortie toute seule. »
Yvonne Barth naît en 1953 à Bâle. Sa mère ne cesse de déménager, les ballottant d’un endroit à l’autre, elle et sa sœur aînée, ce qui la désécurise. À trois ans, Yvonne Barth passe à plusieurs reprises quelques mois dans une institution bâloise, le Vogelsang, puis elle est placée dans une famille d’accueil à Davos Wiesen (GR) en 1958. Comme sa sœur aînée lui manque beaucoup, elle demande à sa mère d’être transférée dans la même institution qu’elle. Son souhait est réalisé en 1961.
Yvonne Barth vit alors au Röserental, à Liestal (BL), jusqu’à l’âge de douze ans. Les autres enfants se moquent souvent d’elle, car elle louche et sa démarche est pataude à cause d’excroissances aux pieds. Les adultes ne l’encouragent pas dans ses apprentissages : ils ne vont pas au-delà de son aspect physique peu avantageux et ne la croient pas capable d’apprendre grand-chose. À cette époque, les animaux jouent un rôle important dans sa vie. C’est auprès d’eux, et pas auprès des personnes, qu’elle trouve chaleur et réconfort.
Une fois adulte, Yvonne Barth ne cesse de se former. Elle devient masseuse médicale et ouvre son propre cabinet. Elle puise depuis toujours beaucoup de force et d’énergie dans la musique. Depuis toute petite, elle est capable d’apprendre très rapidement à jouer des instruments de musique. Aujourd’hui encore, elle compose des chansons.
Yvonne Barth a joué pour la première fois en public sa chanson Fremdplatziert aus der Sicht jener Kinder (« Les placements forcés vus par ces enfants-là ») lors d’une cérémonie en mémoire des victimes des mesures de coercition à des fins d’assistance, qui s’est tenue en automne 2021 à Bâle. Yvonne Barth tient à participer au travail de mémoire, notamment pour tous ceux et celles qui ne sont plus là pour le faire.
Anton Aebischer
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« Ce sourire m’a protégé et permis de tracer mon chemin dans la vie ; il cache très bien la souffrance sans nom que j’ai subie à cause des pratiques arbitraires des autorités de l’époque ! »
NĂ© le 21 juillet 1948 Ă Aarau
Lieu d’origine : Guggisberg (BE)
Je m’en suis sorti tout seul, je ne dois rien à personne. Je suis citoyen de cet État, de ma « patrie » (et de son « paysage institutionnel » !). Je n’ai rien reçu de l’État. Tout ce que j’ai eu, je l’ai gagné à la sueur de mon front. C’est au contraire à cause de l’État si mon départ dans la vie a été si dur ! On m’a enfermé dans des institutions, on m’a volé mon enfance. Avec des « expertises » calomnieuses (comme à l’établissement Oberziel de Saint-Gall) qui font mal aujourd’hui encore ; ces soi-disant experts, ces « pointures », ont érigé une barrière mentale entre moi et les autres, les « normaux » !
J’ai fait tout mon service militaire. J’ai été soldat appointé, avec fonction d’officier, et, lorsque j’ai été libéré de mes obligations militaires, j’ai reçu des « remerciements pour services rendus ». J’ai même encore servi l’État en accomplissant des services supplémentaires volontaires dans l’armée, sans solde ni APG ! J’ai bien sûr occupé plusieurs emplois, certains pendant un certain temps, mais j’ai été licencié pour des raisons économiques. J’en ai profité pour faire un rachat facultatif de prestations à six chiffres auprès de ma caisse de pension et aujourd’hui je ne dépends pas de l’État, contrairement à bien des gens. Je paie mes impôts à 100% ! Je ne dois remercier personne !
Christian Tschannen
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« Ils nous disaient : vous êtes des moins que rien, des bons à rien, vous ne serez jamais personne ! »
Christian Tschannen naît en 1971 dans le canton de Soleure. Au divorce de ses parents, les services sociaux interviennent et sa mère donne son accord pour un placement provisoirement de ses enfants. Christian et son frère aîné, Benjamin, se retrouvent dans une ferme de l’Emmental, à Schangnau (BE). Ils doivent non seulement y travailler dur et dormir dans une chambre mal chauffée, mais ils sont aussi battus et victimes d’abus sexuels. À tout juste neuf ans, Christian présente les premiers symptômes d’une maladie rhumatismale qui le fera toujours plus souffrir.
En 1986 – il a alors 15 ans –, Christian Tschannen est transféré au Jugenddorf de Bad Knutwil (LU), une maison de correction dans laquelle on l’oblige à faire un apprentissage d’ébéniste, qu’il ne terminera pas. Là aussi, il est victime de violence. La dernière année de son séjour dans cet établissement, on va jusqu’à lui refuser soins médicaux et médicaments. À sa majorité, en 1989, sa tutelle est levée, et Christian Tschannen peut quitter Bad Knutwil. Il fait un apprentissage de peintre en automobiles, mais sa maladie et d’autres problèmes physiques l’empêchent d’exercer ce métier. Cherchant à se reconvertir professionnellement, il s’adresse à l’AI, mais cette dernière n’accepte pas sa demande de pouvoir faire une formation compatible avec son état de santé et ses compétences.
À 24 ans, Christian Tschannen change totalement d’orientation professionnelle et fait des études à la Haute école d’art de Lucerne. Il a notamment été artiste en résidence de la fondation Pro Helvetia au Cap (Afrique du Sud) et a exposé ses œuvres en Suisse comme à l’étranger. Son travail artistique change radicalement en 2014, avec la publication des premiers documents officiels sur les placements forcés. Depuis, il aborde surtout des thèmes en lien avec l’actualité. Christian Tschannen, qui s’engage dans le travail de mémoire sur les mesures de coercition à des fins d’assistance, tient à braquer les projecteurs également sur les problèmes actuels dans le domaine de l’assistance aux enfants et aux jeunes.
Uschi Waser
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« J’allais bien jusqu’au jour où j’ai lu le dossier du procès de mes agresseurs. »
Uschi Waser naît en 1952 dans le canton de Zurich. À sa naissance, sa mère n’est pas mariée. En raison de ses origines yéniches, elle est mise sous tutelle et placée. Durant les treize premières années de sa vie, elle vivra dans 26 endroits différents. Après avoir subi pendant des années des abus sexuels de la part de son beau-père, elle est violée par son oncle la nuit de son 14e anniversaire, ce qui lui vaut un internement administratif dans l’établissement catholique Le Bon Pasteur à Altstätten, dans le canton de Saint-Gall.
Une fois son internement levé, Uschi Waser fonde une famille. Elle divorce par la suite et élève seule ses filles. En consultant les archives de sa commune, elle apprend que, lors du procès de son oncle et de son beau-père, la justice n’a pris en compte que les éléments jouant en sa défaveur. La découverte de cette injustice va bouleverser sa vie.
Uschi Waser s’engage depuis de nombreuses années en faveur du travail de mémoire sur les placements forcés et les mesures de coercition à des fins d’assistance ainsi que sur le rôle joué par la justice dans ce contexte. Elle a notamment représenté les victimes de Pro Juventute auprès de la Table ronde mise en place dans le but de faire la lumière sur les mesures de coercition à des fins d’assistance et les placements extrafamiliaux antérieurs à 1981 (2013 à 2018). Elle préside depuis les années 1990 la Fondation Naschet Jenische. Le prix Somazzi, qui récompense chaque année une ou plusieurs femmes pour leur engagement en faveur des droits des femmes, de l’éducation et de la paix, lui est décerné en 2022.
Uschi Waser s’engage depuis de nombreuses années en faveur du travail de mémoire sur les placements forcés et les mesures de coercition à des fins d’assistance ainsi que sur le rôle joué par la justice dans ce contexte. Elle a notamment représenté les victimes de Pro Juventute auprès de la Table ronde mise en place dans le but de faire la lumière sur les mesures de coercition à des fins d’assistance et les placements extrafamiliaux antérieurs à 1981 (2013 à 2018). Elle préside depuis les années 1990 la Fondation Naschet Jenische. Le prix Somazzi, qui récompense chaque année une ou plusieurs femmes pour leur engagement en faveur des droits des femmes, de l’éducation et de la paix, lui est décerné en 2022.
Afra Flepp
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« Quand ça vient du cœur, on peut faire beaucoup avec presque rien. »
Afra Flepp naît en 1947 à Zurich. Durant son enfance, elle est placée à plusieurs reprises dans des institutions et des familles d’accueil. Elle vit d’abord au Tessin, où elle subit un régime alternant récompenses et punitions. Ensuite, après un bref séjour à la maison, des paysans de l’Oberland zurichois l’accueillent chez eux pour encaisser les frais de pension. Les garçons de la famille l’ayant épiée aux toilettes, Afra Flepp est transférée ailleurs, cette fois dans une institution Pestalozzi en ville de Zurich, à Redlikon-Stäfa. Elle en est l’une des rares pensionnaires à pouvoir fréquenter l’école publique du village, et elle ramène parfois des bonbons en cachette à l’institution. À la fin de sa scolarité, elle est à nouveau placée dans une famille d’accueil.
Afra Flepp n’a pas encore fini son apprentissage de graphiste qu’elle se loue déjà une chambre. À peine son diplôme en poche, elle se lance comme indépendante (ce qui n’est pas du tout courant pour une femme dans les années 1970). Jusqu’à sa retraite, elle travaille dans son atelier, en ville de Zurich, et son local devient vite le lieu de rencontre des jeunes du quartier. Ils le fréquentent d’autant plus volontiers qu’il y a bien des choses à découvrir et que presque rien n’y est interdit.
Afra Flepp fait parler d’elle comme artiste pour la première fois en 1975, quand elle peint des nuages et un arc-en-ciel géant sur la façade d’une maison en ville de Zurich. Elle crée aujourd’hui des œuvres tout en précision grâce à une technique de peinture acrylique à la seringue.
Jasmin Schweizer*
Zu diesen Themen spricht Jasmin Schweizer*:Jasmin Schweizer*
« Chaque enfant a droit à l’instruction. »
Jasmin Schweizer naît en 1957 à Zurich. Sa venue réjouit ses parents et toute sa famille. La petite est toutefois souvent malade ; elle développe des infections qui lui valent de fréquentes hospitalisations. Elle prend du retard dans des matières scolaires importantes et peine de plus en plus à suivre la classe. À 14 ans, on l’envoie pour la première fois en institution, en Suisse romande. Une année plus tard, elle est prise en charge dans l’établissement anthroposophe de Montolieux, sur les hauts de Montreux, qui héberge également des enfants de parents influents. Elle en fuit, car elle y est victime d’une tentative d’agression sexuelle. Un autre placement suivra, dans un institut réformé pour jeunes filles, à Lucens.
En raison de sa scolarité lacunaire, Jasmin Schweizer peine à trouver une place d’apprentissage. Elle finit par en dénicher une et commence en 1975 un apprentissage d’aide-infirmière à l’hôpital cantonal de Münsterlingen (TG). Les aides-infirmières en formation sont logées dans la maison mère d’une congrégation religieuse, tout près de la clinique psychiatrique de Münsterlingen. Jasmin Schweizer y est forcée de prendre des pilules qui lui provoquent de forts effets secondaires. Le médecin-chef de l’hôpital, Roland Kuhn, y fait en effet réaliser des tests à grande échelle de médicaments non autorisés : il mène ces essais sans l’accord des personnes, alors que des principes éthiques s’appliquaient déjà à cette époque à la recherche médicale sur les êtres humains. Lorsque Jasmin Schweizer refuse de continuer à prendre ces pilules, le médecin-chef la menace de l’interner de force. Son père vient alors la rechercher.
Depuis lors, de nombreux problèmes de santé l’empêchent de travailler. Jasmin Schweizer, qui souffre notamment d’endométriose, a créé un groupe d’entraide pour soutenir d’autres personnes atteintes de cette maladie. Elle s’est formée en autodidacte et a trouvé un moyen de vivre avec son passé, même si son quotidien reste une lutte.
Nom fictif.
Katharina Delfino
Zu diesen Themen spricht Katharina Delfino:Katharina Delfino
« Mon mari s’est apaisé quand il a pu parler de tout cela. »
Katharina Delfino naît à Zurich en 1964. Elle passe une enfance sans soucis avec ses deux frères aînés. Elle commence tôt à donner des coups de main au salon de coiffure de ses parents, avant de décider de devenir coiffeuse elle aussi. La formation est difficile, les journées de travail très longues, mais elle découvre un milieu professionnel dynamique. Elle gagne en expérience et peut participer à des shows internationaux ; elle a aussi l’occasion de voyager pour son travail, notamment à New York et aux Philippines.
Après quelques années, elle ressent le besoin de changer de domaine. Elle se fait engager dans un bar de la vieille ville de Zurich, où elle fait la connaissance de son futur mari, Mario Delfino. Quand elle tombe enceinte, le couple emménage et se marie. Dès le début de leur relation, son mari lui a parlé de son enfance passée chez des parents adoptifs et dans des institutions, mais elle sentait qu’il n’était pas encore prêt à tout lui raconter. Ce n’est qu’en 2019 que Mario Delfino lui révèle avoir lui aussi été victime de violence sexuelle de la part de religieux catholiques.
Katharina Delfino a travaillé de nombreuses années avec son mari. Ensemble, ils ont été concierges d’une maison de paroisse, puis d’un centre scolaire en ville de Zurich. Elle trouve très important de parler des conflits et des différences, de rechercher ensemble des solutions. Sa famille est ce qui compte le plus à ses yeux : tous s’épaulent et sont là les uns pour les autres.
Michele Delfino
Zu diesen Themen spricht Michele Delfino:Michele Delfino
« Je comprends bien des choses depuis que je sais ce que mon père a enduré. »
Michele Delfino naît à Zurich en 1993. Il grandit avec ses parents, Katharina et Mario Delfino. Ces derniers sont concierges, d’abord d’une maison de paroisse, puis d’un centre scolaire. Les premières années, comme les Delfino logent dans un appartement de fonction, leur fils Michele peut passer beaucoup de temps avec eux. Les diverses salles et cours de récréation sont autant de terrains de jeux pour lui. Michele Delfino tient beaucoup à sa famille. Ses parents ont fait en sorte qu’il ait un bon départ dans la vie. Il essaie dans la mesure du possible de faire le meilleur usage de ce bagage, d’autant plus que son père n’a pas eu cette chance. Il a toujours su que son père n’avait pas grandi dans sa famille, car ce dernier lui a souvent raconté des anecdotes, et notamment ses tentatives de fuite. Ensuite, une fois qu’il a été plus grand, ses parents l’ont amené visiter l’institution pour enfants d’Altdorf (UR), la maison de correction de Bad Knutwil (LU) et l’endroit où vivaient les parents adoptifs de son père, à Thalwil (ZH).
À l’époque de ces visites, Michele Delfino se doutait bien que son père n’était pas encore prêt à parler de tout ce qu’il avait vécu. Quand, il y a quelques années seulement, ils ont pu aborder en famille la violence sexuelle subie par son père, il a mieux compris certaines réactions de son père par le passé. Le traumatisme subi a laissé des séquelles, qui touchent la génération suivante également. C’est notamment pour cela que Michele Delfino trouve important d’en parler.